8 juil 2008

manouche

Manouche. Pour bien des gens, il traîne dans ce mot du respect et de la défiance. Non. Pas du respect. De l’envie peut-être. Ou alors un besoin de revanche. Parce que la liberté ne se conçoit chez l’honnête homme qu’au travers de son pays, sa patrie, sa terre. Comment être libre si on est de nulle part ? De la défiance pour ces hommes fiers et fidèles aux règles qu’ils ont eux-mêmes écrites. Encore qu’écrire, ils savent peut-être pas. De toute façon, ils ne vivent pas comme tout le monde. On les reconnaît bien avec leurs pieds nus et leurs mains sales. Et leurs gosses. Pareils. Pires. Souillons. Ce regard insolent. Voleurs. Me dites pas que le Vito, ils l’ont payé en rempaillant des chaises. T’as vu ce que ça coûte ? Quelle honte. Manouche. Manouches.

Non. L’honnête homme aime à se faire dépouiller par un être supérieur. Sur le parking de la direction s’alignent des Mercedes toutes neuves, gris métal, bleu marine, noir, la plupart payée par la boîte. En sortent des hommes habillés chic, cravatés, aux plis impeccables. Ils dirigent les opérations, décident des budgets, calculent le retour sur investissement et font consentir des efforts forcément nécessaires. L’honnête homme les envie. Au point de semer dans la tête de sa progéniture, mâle de préférence, l’idée que là se trouve l’essence de l’aboutissement. Forcément, c’est pas pour tout le monde. Il faut travailler. Et travailler dur. Se donner. Faire reconnaître sa valeur.

Manouche. Toi, on t’appelle voleur de poules. Parce qu’on ne sait pas très bien ce que tu voles au juste. On se doute bien. C’est évident, le nombre de cambriolages augmente quand tu es là, les statistiques sont formelles, je sais plus où j’ai lu ça. De viols aussi. Pour faire bonne mesure. Mais jamais tu ne te fais prendre. Bien trop malin. Et en plus, les flics ont peur de toi. Faut dire, à quelle frontière au juste on peut bien te reconduire ? Pas de papiers, pas de pays, t’es un vrai parasite. Si ça se trouve, t’as droit au RMI. Eh, faut bien la payer l’essence pour la Merco. Et ta roulotte, là. Ben tu t’emmerdes pas. Quand je pense que j’ai encore les traites du Scénic pour trois ans et que tu te pavanes avec ta smala dans ta charrette à trente plaques. Ça me fait mal.

Quoi que le Scénic, je vais peut-être le revendre avant la fin si j’ai un peu de rallonge.

Eh non. Maman voudra pas. Faut payer les études du grand. Il va pas finir traîne-savates quand même. Pourvu qu’il décroche son stage, bon dieu. Un bon stage dans une bonne boîte. Pour bien apprendre le monde de l’entreprise. C’est con qu’il foute rien, avec les possibilités qu’il a, il pourrait en faire, des trucs. Pas finir comme moi, au fond de mon atelier. Ou comme l’autre là, derrière son bureau et son ordinateur. Non mais t’imagines mon gars, là, qui arrive avec sa Mercedes, le gardien qui lui ouvre, et lui qui va garer sa caisse sur le parking là-haut, avec les autres ?

Manouche, j’en peux plus de te voir dans le champs de ce pauvre paysan avec tes parasols. J’en ai marre de voir tes volets fermés quand j’embauche et tes gosses courir dans la terre quand je sors du boulot. De voir ta femme en tongs ou en espadrilles avec ses dents en or gueuler jusqu’à l’autre bout du terrain. L’autre, là, avec sa cravate, il me mène la vie trop dure pour accepter que tu puisses te pavaner au soleil sans rien foutre de tes journées.

Vous me faites tous chier. Parce que je sais que même si j’échange mon Scénic contre une Mercedes, je ne serai jamais le maître du monde et que je ne serai jamais un homme libre.

Manouche. Je me dégoûte et c’est pour ça que je t’en veux.